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ARGUMENTS POUR CONTINUER A PROMOUVOIR LA MONDIALISATION ???

http://www.iedm.org/files/note0210_fr.pdf

L’ACHAT LOCAL DE NOURRITURE
SAUVERA-T-IL LA PLANÈTE?

Le mouvement en faveur de
l’achat local de denrées
alimentaires a pris beaucoup
d’ampleur ces dernières années,
autant au Québec qu’ailleurs
dans le monde. Au-delà des
arguments économiques
traditionnels relevant d’une
certaine forme de protectionnisme, c’est la question environnementale qui semble
aujourd’hui motiver beaucoup
de groupes et de citoyens à
promouvoir une réduction
des « kilomètres alimentaires »
(food miles). On prétend qu’en
décourageant les consommateurs d’acheter des aliments
transportés sur de longues
distances, moins d’énergie sera
dépensée – et moins de gaz à
effet de serre (GES) seront
conséquemment émis –, ce qui 

contribuera à minimiser la

dégradation de l’environnement.

Cette Note économique a été
préparée par Pierre Desrochers,
professeur associé au département
de géographie de l’Université de
Toronto Mississauga, avec la
collaboration de Hiroko Shimizu,
consultante indépendante.

L’achat local fait miroiter une relation plus
étroite avec la nourriture, les producteurs
voisins et le passage des saisons, tout en
garantissant des bénéfices environnementaux, économiques, sociaux et sur le plan de
la santé. Il existe des raisons bien légitimes
justifiant qu’un consommateur fasse le
choix personnel d’acheter ses aliments
localement, par exemple s’il trouve que les
produits du terroir québécois sont de
meilleure qualité. Par contre, les présumés
avantages environnementaux de l’achat local se
fondent souvent sur une
évaluation inappropriée
des sources globales d’émissions de gaz à effet de serre
dans le processus de production et de distribution
des aliments, ainsi que sur
une mauvaise compré-
hension des avantages de
la spécialisation géographique.
De l’agriculture de subsistance à
l’agriculture commerciale
Il est important de bien saisir la distinction
entre l’agriculture de subsistance et l’agriculture commerciale avant de pouvoir
discuter de production alimentaire. Dans
un contexte d’agriculture de subsistance, la
nourriture est consommée par la communauté qui l’a produite. Les récoltes sont
entreposées et graduellement épuisées
jusqu’à la saison suivante, alors que le
bétail domestiqué ajoute une certaine
variété à la diète et joue un rôle
d’assurance contre les mauvaises récoltes.
Les individus qui vivent dans des systèmes
de production agricole de subsistance sont
constamment menacés d’une famine provoquée par le mauvais temps, une maladie
des plantes, une invasion d’insectes et
l’impossibilité de recourir aux surplus de
nourriture en provenance d’autres régions.
Cette situation n’a commencé à changer de
façon notable en Europe occidentale qu’à la
fin du XVIIIe
siècle, avec le développement
des moyens de transport et d’entreposage à
grande échelle des aliments.
L’agriculture commerciale,
quant à elle, s’appuie sur
des échanges avec des
producteurs situés dans
des endroits plus éloignés.
La productivité croissante
et la spécialisation plus
poussée de ce type d’agriculture permettent aux
populations de développer
des expertises dans d’autres domaines.
Les producteurs agricoles des économies
développées se spécialisent habituellement
dans quelques cultures ou dans l’élevage
d’un type de bétail. Bien qu’ils soient
aujourd’hui peu nombreux, ils génèrent
souvent des surplus en quantité suffisante
pour les écouler sur les marchés internationaux grâce à la forte productivité
permise par les technologies modernes.
Ces exportations, couplées avec celles en
provenance d’autres domaines d’activité,
permettent l’importation de biens – y
compris des aliments – produits plus
efficacement ailleurs. 
LES NOTES

Ces échanges
É C O N O M I Q U E S
Le mouvement en faveur de
l’achat local de denrées
alimentaires a pris beaucoup
d’ampleur ces dernières années,
autant au Québec qu’ailleurs
dans le monde. Au-delà des
arguments économiques
traditionnels relevant d’une
certaine forme de protectionnisme, c’est la question environnementale qui semble
aujourd’hui motiver beaucoup
de groupes et de citoyens à
promouvoir une réduction
des « kilomètres alimentaires »
(food miles). On prétend qu’en
décourageant les consommateurs d’acheter des aliments
transportés sur de longues
distances, moins d’énergie sera
dépensée – et moins de gaz à
effet de serre (GES) seront
conséquemment émis –, ce qui
contribuera à minimiser la
dégradation de l’environnement.garantissent aux parties un niveau de vie plus élevé qu’il ne
serait autrement possible.
Les émissions de GES dues
au transport des aliments
L’aspect le plus discutable de la thèse de l’achat local mesuré
par le nombre de kilomètres alimentaires est le fait qu’elle
ignore les écarts de productivité entre les emplacements
géographiques. En d’autres termes, les militants présument
que la production d’un aliment nécessite la même quantité
d’intrants quels que soient l’endroit et la façon dont il est
produit. De ce point de vue, la distance parcourue entre le
producteur et le magasin où les aliments sont achetés, de
même que le mode de transport utilisé, deviennent les principaux facteurs qui déterminent l’impact sur l’environnement.
En réalité, certains emplacements sont beaucoup plus
favorables que d’autres à la production de certaines cultures.
Par exemple, les fraises sont cultivées presque toute l’année en
Californie dans des conditions pratiquement idéales (ni trop
humides, ni trop chaudes). En conséquence, un hectare de
terre californienne donne plus de 50 000 kg de fraises, en
comparaison de 7000 à 10 000 en Ontario, permettant par la
même occasion une utilisation beaucoup plus efficace du
carburant, du capital, de la machinerie et d’autres ressources1
.
Une évaluation réaliste de l’impact environnemental de la
production des aliments doit également tenir compte du
transport à leur destination finale chez le consommateur – et
non uniquement aux magasins – ainsi que de la consommation totale d’énergie et des émissions de GES associées à la
production. Des chercheurs ont jeté un nouvel éclairage sur
cette question en utilisant la méthodologie de l’Évaluation du
cycle de vie (voir le Tableau 1)2
.
Au chapitre du transport, la perception change considé-
rablement lorsqu’on observe le processus dans son ensemble
au lieu de se focaliser uniquement sur le pays où l’aliment a
été produit. Les choix de transport des consommateurs, tels
que la marche ou la bicyclette par opposition à la conduite
automobile, ont de toute évidence des conséquences sur la
quantité totale de CO2
associée à leurs achats.
Les nombreuses courses en voiture pour ramener un volume
modeste de nourriture que fait chaque famille ont un impact
relatif notable sur les émissions de GES. Les voitures sont
énormément moins efficaces que les plus gros moyens de
transport qui déplacent la nourriture de l’endroit où elle a été
produite jusqu’à celui où elle sera vendue. Transporter de très
grandes quantités de nourriture dans des navires ultra efficaces propulsés au diesel requiert beaucoup moins d’énergie
par pomme ou côtelette d’agneau, même si la distance
parcourue est beaucoup plus grande.
L’analyse probablement la plus exhaustive à avoir été produite
jusqu’à maintenant sur l’enjeu de l’achat local est une étude
réalisée en 2005 par le ministère de l’Environnement, de
l’Alimentation et des Affaires rurales (DEFRA) du RoyaumeUni. Elle a notamment montré que 82 % des 30 milliards de
kilomètres alimentaires (la distance parcourue entre les
producteurs et les consommateurs) qu’on estime être associés
aux aliments consommés par les Britanniques sont générés à
2
Institut économique de Montréal
L’ACHAT LOCAL DE NOURRITURE SAUVERA-T-IL LA PLANÈTE?
LES NOTES ÉCONOMIQUES
1. Pierre Desrochers et Hiroko Shimizu, « Buy Global », Reader’s Digest (Canada), juin 2009.
2. Voir notamment la page Web de l’Agence américaine de protection de l’environnement à http://www.epa.gov/nrmrl/lcaccess/.
Le transport de la nourriture sur de longues distances par
avion ou par bateau n’est responsable que d’une fraction des
émissions totales de GES générées par les différents moyens
de transport.
TABLEAU 1
Le cycle de vie des aliments
Champ d’activité Acteur Intrant
1. Matières premières
2. Production
3. Emballage
4. Distribution
5. Consommation
6. Traitement des déchets
Ferme
Réseau de distribution
Consommateur
Semences, terre,
fertilisant, eau, herbicide,
pesticide, etc.
Capital (machinerie,
installations, etc.)
Énergie (carburant,
électricité, pétrole)
Main-d’œuvre
Entreposage
Déchets
Transport
Main-d’œuvre
Transport
Préparation des aliments
Déchets
Recyclage
Déchets
Transportl’intérieur même du pays, le transport par voiture des
magasins jusqu’aux maisons comptant pour 48 % et le
transport par véhicule lourd pour 31 %. Les transports par
avion et par bateau comptaient chacun pour moins de 1 %
des kilomètres alimentaires3
. Dans le pire des scénarios, un
consommateur britannique se déplaçant par voiture sur dix
kilomètres pour acheter des fèves vertes du Kenya est
responsable de plus d’émissions de carbone par sac de fèves
que le transport par avion des mêmes fèves du Kenya vers le
Royaume-Uni.
Les émissions de GES dues à
la production des aliments
Comme on vient de le voir, le transport de
la nourriture sur de longues distances par
avion ou par bateau n’est responsable que
d’une fraction des émissions totales de GES
générées par les différents moyens de
transport. De plus, le transport n’est même
pas la principale cause d’émissions de GES.
La portion de la chaîne de production agricole

qui nécessite le plus d’énergie est celle qui a trait à

la production elle-même

(l’utilisation de fertilisants,

de pesticides,

l’irrigation,

l’énergie

requise pour faire fonctionner la machinerie, etc.).

Aux États-Unis, une récente étude ayant recours à la
méthodologie de l’Évaluation du cycle de vie a montré que
11 % des émissions de GES associées à la nourriture provenaient du transport dans son ensemble, contre 83 % pour
l’étape de la production4
.
L’étude du DEFRA comparait également les émissions
provoquées par la dépense énergétique de la production de
tomates au Royaume-Uni et par l’importation de tomates
espagnoles. La production de tomates au Royaume-Uni entraîne
l’émission de 2394 kg de CO2
/tonne, contre 630 kg/tonne pour
les tomates espagnoles. La différence provient essentiellement de
l’énergie nécessaire à la production de tomates en serre au
Royaume-Uni (environ 90 % de l’énergie totale utilisée) alors
que la culture se fait dans des serres non chauffées recouvertes de
plastique en Espagne5
.
De même, les militants et les consommateurs oublient
facilement l’importance du contexte saisonnier dans le calcul
de l’énergie utilisée et des émissions de CO2
. Dans une étude
publiée en 2006, des chercheurs concluent que l’envoi et la
vente rapide pendant l’hiver en Grande-Bretagne de pommes
néo-zélandaises fraîchement cueillies provoquent moins
d’émissions de GES que l’achat de pommes cultivées sur place
et entreposées pendant plusieurs mois, pour la bonne raison
que la Nouvelle-Zélande est située dans l’hémisphère sud où
la saison de culture coïncide avec l’hiver dans l’hémisphère
nord6
.
De façon générale, les environnements
physiques comme celui du Canada qui
nécessitent des installations et des technologies pour maintenir les aliments au chaud
ou au froid requièrent une dépense d’énergie
beaucoup plus élevée que les climats plus
favorables, dans une mesure qui dépasse
souvent de loin la quantité d’énergie nécessaire au transport des produits agricoles
venant d’endroits plus éloignés.
Les coûts économiques de l’agriculture de
subsistance
L’option de ne consommer que des produits locaux et de
s’abstenir de commercer – c’est-à-dire pratiquer l’agriculture
de subsistance, ce à quoi correspond l’achat local si on la
pousse à sa conclusion logique – est irréaliste et impliquerait
des sacrifices très importants. Des politiques restrictives en
faveur de l’achat local de nourriture entraîneraient des prix
beaucoup plus élevés et une réduction draconienne de la
quantité et de la diversité de la nourriture disponible, même
dans les régions agricoles qui sont actuellement les plus
développées et les plus productives.
Les partisans les plus radicaux de l’achat local sont ceux qui
limitent volontairement leur consommation à des aliments
cultivés ou abattus à l’intérieur d’un périmètre de 161 km
(100 milles) de leur résidence. L’un des exemples les mieux
documentés est celui d’un couple canadien vivant dans le sudouest de la Colombie-Britannique (probablement la région
agricole la plus écologiquement diversifiée et la plus
3. Alison Smith et al., The Validity of Food Miles as an Indicator of Sustainable Development, Rapport ED50254, no 7, juillet 2005, p. 30.
4. Christopher L. Weber et H. Scott Matthews, « Food-Miles and the Relative Climate Impacts of Food Choices in the United States », Environmental Science & Technology, vol. 42, no 10
(15 mai 2008), p. 3508-3513.
5. Alison Smith et al., op. cit., note 3.
6. Caroline Saunders, Andrew Barber et Greg Taylor, Food Miles - Comparative Energy/Emissions Performance of New Zealand’s Agriculture Industry, Rapport de recherche no 285,
Agribusiness & Economics Research Unit, Lincoln University, juillet 2006.
3
Institut économique de Montréal
L’ACHAT LOCAL DE NOURRITURE SAUVERA-T-IL LA PLANÈTE?
Aux États-Unis, 11 % des
émissions de GES associées à la
nourriture proviendraient du
transport dans son ensemble,
contre 83 % pour l’étape
de la production.LES NOTES ÉCONOMIQUES
productive au Canada) qui a relevé ce défi
écologique en 2005 pendant une année et a
raconté son expérience sur Internet et dans un
livre7
. Quelques problèmes fondamentaux
associés à l’approche des 100 milles ont
rapidement été identifiés :
• Coût : Les produits biologiques locaux ou les
substituts à des produits courants coûtent en
général plus cher (souvent considérablement
plus cher) que les produits courants.
• Absence de variété : Il est
impossible de produire
localement du sucre, du riz,
des citrons, du ketchup, de
l’huile d’olive, du beurre
d’arachide, du jus d’orange
et de la farine. En hiver, le
choix de légumes était
extrêmement limité.
• Temps : Le temps passé à obtenir et à préparer
la nourriture équivalait à un emploi à temps
partiel.
Ces problèmes étaient évidemment atténués
par le fait que le couple ne se privait pas d’un
grand nombre de services, comme les soins de
santé, qui n’étaient disponibles que parce que
l’importation de nourriture permettait à
d’autres de leurs concitoyens de se spécialiser
dans des activités non agricoles.

L’expérience

permet tout de même d’illustrer

les avantages considérables et tout à fait concrets

du commerce et de la subtile division du travail

qu’il permet.


Conclusion
Chercher des aliments plus frais et entretenir
des relations de voisinage peuvent s’avérer de
bonnes raisons d’acheter des produits locaux,
mais sauver la planète ou soutenir l’économie
locale n’en sont pas.
Les militants qui font la promotion de l’achat
local mettent souvent de l’avant ses avantages
économiques, dans la mesure où celui-ci
entraîne des revenus plus élevés pour les
producteurs locaux. Ce qui manque toutefois
dans cette analyse est le fait que le gain de
l’agriculteur, s’il est forcé par une intervention
des pouvoirs publics, ne peut survenir qu’aux
dépens du consommateur qui doit payer plus
cher pour un produit similaire, ou le même prix
pour un produit de moindre qualité (si ce n’était
pas le cas, il ne serait pas
nécessaire d’adopter des
mesures coercitives pour pénaliser les produits en provenance
de régions plus éloignées). Ces
politiques font en sorte que les
consommateurs et les contribuables se retrouvent avec
moins d’argent dans leurs
poches pour acheter autre
chose ou pour investir, ce qui a
des effets négatifs sur l’économie régionale. Ces
mesures pénalisent également les fermiers des
pays en développement, qui perdent une
occasion d’améliorer leurs conditions de vie.
Dans une économie moderne, les gens se
spécialisent dans ce qu’ils font le mieux et
échangent le fruit de leur labeur. Cela garantit à
la fois des prix plus bas et une plus grande
variété de produits tout au long de l’année.
C’est pourquoi la survie alimentaire d’une
population mondiale croissante nécessite un
libre-échange en matière agricole, de manière à
s’assurer que la nourriture est produite de la
façon la plus efficace possible dans les endroits
les plus appropriés, permettant ainsi d’obtenir
des économies de ressources, la création de plus
de richesse et un environnement plus sain pour
tous.
4
Institut économique de Montréal
1010, rue Sherbrooke O., bureau 930
Montréal (Québec) H3A 2R7, Canada
Téléphone (514) 273-0969
Télécopieur (514) 273-2581
Site Web www.iedm.org
L’Institut économique de Montréal (IEDM)
est un organisme de recherche et d’éducation indépendant, non partisan et sans but
lucratif. Par ses études et ses conférences,
l’IEDM alimente les débats sur les politiques
publiques au Québec et au Canada en
proposant des réformes créatrices de
richesse et fondées sur des mécanismes de
marché.
Fruit de l’initiative commune d’entrepreneurs, d’universitaires et d’économistes,
l’IEDM n’accepte aucun financement
gouvernemental.
Les opinions émises dans cette publication
ne représentent pas nécessairement celles de
l’Institut économique de Montréal ou des
membres de son conseil d’administration.
La présente publication n’implique aucunement que l’Institut économique de
Montréal ou des membres de son conseil
d’administration souhaitent l’adoption ou le
rejet d’un projet de loi, quel qu’il soit.
Reproduction autorisée à des fins éducatives
et non commerciales à condition de
mentionner la source.
Institut économique de Montréal
© 2010
Imprimé au Canada
Illustration :
Benoit Lafond
Infographie :
Valna inc.
L’ACHAT LOCAL DE NOURRITURE SAUVERA-T-IL LA PLANÈTE?
Des politiques restrictives en
faveur de l’achat local de
nourriture entraîneraient des
prix beaucoup plus élevés et une
réduction draconienne de la
quantité et de la diversité de la
nourriture disponible.
7. Voir Alisa Smith et J. B. MacKinnon, « Living on the 100-Mile Diet », The Tyee, 28 juin 2005; Alisa Smith et J.B. MacKinnon, The 100-Mile
Diet: A Year of Local Eating, Random House Canada, 2007.

SUITE !!

 

 

 

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