PROSTITUTION ?! FILLES BARBARES ET PETITES FILLES ?

Pornai

Courtisane recevant l'un de ses clients,lécythe attique à figures rouges du peintre d'Athéna, v. 460-450 av. J.‑C., 

Ces prostituées sont classées en plusieurs catégories. En bas de l'échelle se trouvent les πόρναι / pórnai6, qui comme l'étymologiel'indique — le mot vient de πέρνημι / pérnêmi, « vendre » — sont généralement des esclaves, propriété du πορνοϐοσκός /pornoboskós ou proxénète, littéralement le « berger » des prostituées, qui acquitte une taxe sur le revenu qu'elles génèrent7. Le propriétaire peut être un citoyen, pour qui il s'agit d'une source de revenus comme une autre : un orateur du ive siècle av. J.-C. en fait figurer deux dans l'état de sa fortune8 ; Théophraste cite le proxénète aux côtés de l'aubergiste et du collecteur d'impôts, dans une liste de professions ordinaires, bien que peu honorables9. Le propriétaire peut être également un ou une métèque.

À l'époque classique, les filles sont des esclaves d'origine barbare ; à partir de l'époque hellénistique, s'y ajoutent les cas de petites filles exposées par leur père citoyen, considérées comme esclaves jusqu'à preuve du contraire.

Le cas semble fréquent, puisqueClément d'Alexandrie, au iie siècle apr. J.-C., met en garde ceux qui fréquentent les prostituées contre le danger d'inceste : « combien de pères, ayant oublié les enfants qu'ils avaient abandonnés, ont, sans le savoir, des relations sexuelles avec leur fils qui se prostitue ou leur fille devenue une courtisane… »10. Ces prostituées travaillent dans des maisons closes, généralement dans des quartiers connus pour cette activité, tels que le Pirée (port d’Athènes) ou le Céramique à Athènes. Elles sont fréquentées par les marins et les citoyens pauvres.

À cette catégorie appartiennent les filles des bordels d'État athéniens. Selon Athénée11 citant l'auteur comique Philémon12 et l'historien Nicandre de Colophon13, c'est Solon qui, « soucieux de calmer les ardeurs des jeunes gens, […] prit l’initiative d’ouvrir des maisons de passe et d’y installer des jeunes femmes achetées »14.

Ces bordels étatiques, les dicteria, appartiennent à de riches citoyens, sont tenus par des gérants appelés pornobosceions15 et surveillés par des fonctionnaires. Ils jouissent du privilège d'inviolabilité et sont d'abord établis dans les ports pour une clientèle de marins16. Les prostituées qui y travaillent s’appellent les dictériades. Ainsi, l'un des personnages des Adelphes s'exclame :

« Toi, Solon, tu as fait là une loi d’utilité publique, car c’est toi qui, le premier, dit-on, compris la nécessité de cette institution démocratique et bienfaitrice, Zeus m'en est témoin ! Il est important que je dise cela. Notre ville fourmillait de pauvres garçons que la nature contraignait durement, si bien qu’ils s’égaraient sur des chemins néfastes : pour eux, tu as acheté, puis installé en divers endroits des femmes fort bien équipées et prêtes à l’emploi. […] Prix : une obole ; laisse-toi faire ! Pas de chichis ! Tu en auras pour ton argent, comme tu veux et de la manière que tu veux. Tu sors. Dis-lui d'aller se faire voir ailleurs : elle n'est rien pour toi. »

Comme le souligne le personnage, les maisons closes soloniennes rendent la satisfaction sexuelle accessible à tous17 et donc indépendante des revenus personnels. Dans cette même optique, Solon aurait érigé, grâce à la taxe levée sur les maisons closes (la pornikotelos), un temple à Aphrodite Pandémos, littéralement Aphrodite « de tout le peuple »18. Même si la véracité historique de ces anecdotes est douteuse, il semble néanmoins clair que les Athéniens considèrent la prostitution comme une composante de la démocratie.

S'agissant des tarifs, il existe de nombreuses allusions au prix d'une obole pour les prostituées les moins coûteuses, sans doute pour les prestations les plus simples. Il est difficile de savoir s'il s'agit d'un montant proverbial signifiant simplement « bon marché » ou d'un prix réel.

Prostituées indépendantes

Une musicienne de banquet (cf. la lyre) se rhabille sous les yeux de son client, tondo d'une coupe attique à figures rouges d'Euphronios, v. 490 av. J.‑C.,British Museum

Un cran au-dessus se trouvent les prostituées anciennes esclaves ayant acquis leur liberté. Leur statut est très proche des hetaira, les concubines. Outre une démonstration en direct de leurs charmes aux clients potentiels, elles ont recours à des artifices publicitaires : ainsi, on a retrouvé des sandales à semelle arrangée, conçues pour laisser la marque ΑΚΟΛΟΥΘΙ / AKOLOUTHI(« suis-moi ! ») sur le sol7. Elles utilisent également du maquillage, apparemment peu discret : Euboulos, auteur de la Comédie moyenne, tourne ainsi en dérision les courtisanes « peinturlurées de blanc de céruse et […] s'enduisant les joues de jus de mûre »19.

Ces prostituées sont d'origines diverses : femmes métèques ne trouvant pas d'autre emploi dans la cité d'arrivée, veuves pauvres, anciennes pornai ayant réussi à se racheter — souvent à crédit. À Athènes, elles doivent être enregistrées auprès de la cité et paient une taxe. Certaines d'entre elles parviennent à faire fortune dans leur métier. Au ier siècle ap. J.‑C., à Koptos, en Égypte romaine, les frais de passage pour les prostituées s'élèvent à 108 drachmes, contre 20 drachmes pour les autres femmes20.

Leurs tarifs sont cependant difficiles à évaluer : il semble qu'ils varient beaucoup. Au ive siècle av. J.-C.Théopompe indique que les prostituées de seconde zone exigent un statère (quatre drachmes) et, au ier siècle av. J.-C., le philosophe épicurien Philodème de Gadara21 mentionne un système d'abonnement s'élevant à cinq drachmes pour douze visites.

Au iie siècle ap. J.‑C., dans le Dialogue des courtisanes de Lucien de Samosate, la prostituée Ampélis considère cinq drachmes par visite comme un prix médiocre22. Dans le même texte, une jeune fille peut demander une mine, soit cent drachmes23, voire deux mines si le client est peu ragoûtant. Inversement, une jeune et belle prostituée peut imposer de meilleurs prix qu'une collègue sur le déclin — même si l'iconographie des céramiques montre qu'il existe un marché spécifique pour les vieilles femmes24. Tout dépend également si le client entend s'assurer l'exclusivité de la prostituée ou non. Il existe des arrangements intermédiaires : un groupe d'amis achète l'exclusivité, chacun ayant droit à une part de temps. On peut sans doute ranger dans cette catégorie les musiciennes et danseuses officiant dans les banquets masculins.

 Aristote25 mentionne parmi les attributions spécifiques de dix magistrats (cinq intra muros et cinq pour le Pirée) les ἀστυνόμοι / astynómoi, la charge de veiller « à ce que les joueuses de flûte, de lyre et de cithare ne soient pas louées plus de deux drachmes »26 par soirée. Des services sexuels peuvent faire partie de la location27 dont le prix, malgré le contrôle pratiqué par les astynomes, tend à devenir de plus en plus élevé au cours de la période.

Des danseuses, des acrobates et des musiciens de location peuvent agrémenter la soirée : Théophraste montre dans ses Caractères28 le propriétaire d'un esclave qui a loué des filles, musiciennes et danseuses qui peuvent assurer tous les plaisirs des convives.

Hétaïres

Vénus Capitoline, copie de l'Aphrodite de Cnide, œuvre dePraxitèle dont la maîtresse, l'hétaïre Phryné, est le modèle,musée du Louvre

Les hétaïres ne se contentent pas d'offrir des services sexuels et leurs prestations ne sont pas ponctuelles : de manière littérale, ἑταίρα /hetaíra signifie « compagne »29. Elles possèdent généralement une éducation soignée et sont capables de prendre part à des conversations entre gens cultivés, par exemple lors des banquets. Seules entre toutes les femmes de Grèce, Spartiates exceptées, elles sont indépendantes et peuvent gérer leurs biens. La concubine reçoit des dons de quelques « compagnons » (hetairoi) ou « amis » (philoi), qui assurent son entretien, et à qui elle accorde ses faveurs. Il s'agit le plus souvent de métèques, comme Aspasie, originaire de Milet, ou Nééra, originaire de Corinthe.

Aspasie, maîtresse de Périclès, est ainsi la femme la plus célèbre du ve siècle av. J.-C. Elle attire chez elle SophoclePhidias ou encore Socrate et ses disciples. Selon Plutarque30, « elle domin[e] les hommes politiques les plus éminents et inspir[e] aux philosophes un intérêt qui n'[est] ni mince ni négligeable »31.

Nous connaissons les noms d'un certain nombre de ces hétaïres. À l'époque classique, il y a ainsi Théodoté, compagne d'Alcibiade et deCébès, avec qui Socrate dialogue dans les Mémorables32 ; ou encore Nééra, sujet d'un célèbre discours du pseudo-Démosthène ; Phryné, modèle de l'Aphrodite de Cnide — chef-d'œuvre de Praxitèle dont elle est la maîtresse, mais aussi compagne de l'orateur Hypéride, qui la défendra dans un procès en impiété ; Léontion, compagne d'Épicure et philosophe elle-même ; mais aussi Laïs d'Hyccara, amante régulière de Myron et la proverbiale Laïs de Corinthe, à qui Aristippe voua une grande passion ruineuse. À l'époque hellénistique, on peut citer Pythonikè, maîtresse d'Harpale, trésorier d'Alexandre le Grand ou encore Thaïs, maîtresse d'Alexandre lui-même et de Ptolémée Ier après lui.

Certaines de ces hétaïres sont très riches. Xénophon décrit Théodoté entourée d'esclaves, richement vêtue et logeant dans une maison de grande allure. Certaines se distinguent par leurs dépenses extravagantes : ainsi une Rhodopis, courtisane égyptienne affranchie par le frère de la poétesse Sappho, se serait distinguée en faisant bâtir une pyramideHérodote33 ne croit pas à cette anecdote, mais décrit une inscription très coûteuse qu'elle finance à Delphes. Les tarifs des courtisanes varient beaucoup, mais sont substantiellement plus élevés que ceux des prostituées communes : dans la Nouvelle Comédie, ils varient de 20 à 60 mines pour un nombre de jours indéterminés. Ménandre mentionne une courtisane gagnant trois mines par jour soit davantage, précise-t-il, que dix pornai réunies34. S'il faut en croire Aulu-Gelle, les courtisanes de l'époque classique vont jusqu'à 10 000 drachmes pour une nuit35.

Il est parfois difficile de distinguer les hétaïres des simples prostituées : dans les deux cas, la femme peut être libre ou esclave, autonome ou protégée par un souteneur36. Les auteurs semblent parfois employer les deux termes de manière indifférenciée. Certains spécialistes se sont donc interrogés sur la réalité de la distinction entre hetaira et pornē ; on s'est même demandé dans quelle mesure le terme hetaira n'était pas un simple euphémisme.

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